VIAGER = DANGER

VIAGER ET PROCÉDURE COLLECTIVE

I - LE DROIT COMMUN

1°) Définitions
Le contrat de rente viagère est un contrat aléatoire , c'est-à-dire une " convention réciproque" dont les effets quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l'une ou plusieurs d'entre elles, dépendent d'un événement incertain, le décès du crédirentier.
La vente d'immeuble en viager est un contrat dans lequel le débirentier reçoit du crédirentier un immeuble en contrepartie de l'engagement qu'il prend de verser à ce dernier des arrérages de vente. La vente d'immeuble en viager est donc la combinaison de deux contrats :
-le contrat de vente d'immeuble,
- le contrat de rente viagère.
La vente en viager présente par rapport à un acte de vente ordinaire deux particularités :
- d'une part, tout ou partie du prix de vente est représenté par une rente viagère ;
- d'autre part, le vendeur peut se réserver l'usufruit du bien ou, tout au moins, un droit d'usage et d'habitation s'il souhaite continuer à occuper personnellement l'immeuble ou en percevoir des revenus
Dans le cas où la vente ne comporte que la première particularité, on parle de " viager libre ". Dans cette hypothèse l'acquéreur peut occuper immédiatement l'immeuble ou le louer.
Dans le cas où la vente comporte les deux particularités, on parle de " viager occupé ". L'acquéreur paie immédiatement les arrérages de . rente, mais ne pourra " user" de l'immeuble (soit en l'occupant personnellement, soit en le donnant en location) qu'après le décès du crédirentier.
La vente en viager est en premier lieu une vente comme telle soumise au régime applicable aux ventes de biens immobiliers. Comme la vente d'un immeuble doit être publiée au bureau des hypothèques pour être opposable aux tiers, il est nécessaire que l'acte soit établi en la forme authentique, c'est-à-dire par un notaire.

Mais, en second lieu, la vente en viager comporte une " aliénation du capital ", selon l'expression de la doctrine, corrélative à une vente.
Deux rédactions de l'acte de vente d'immeuble en viager peuvent être utilisées dans la pratique:
- la première consiste à stipuler que la vente est consentie moyennant une somme que les parties convertissent immédiatement en une rente viagère .

- la seconde consiste à stipuler que la vente est consentie moyennant une rente viagère de x francs.
La question s'est posée de savoir quelle était la formule la mieux adaptée.
Certaines décisions de tribunaux ont considéré que, lorsque les parties avaient fIxé un prix qu'elles avaient ensuite transformé en une rente viagère, il y avait en fait, deux contrats: -
- un contrat de vente,
- une constitution de rente viagère, chaque contrat étant régi par ses règles propres; dès lors, l'annulation d'un contrat n'aurait aucune conséquence sur l'autre.
La Cour de cassation laisse aux juges du fond le soin de décider quelle a été la véritable intention des parties en stipulant un prix et en le convertissant en une rente.


2°) Garanties du vendeur en cas de cessation de paiement de la rente
L'immeuble vendu en viager est sorti du patrimoine du vendeur (crédirentier) pour entrer dans celui de l'acquéreur (débirentier). Les garanties dont peut beneficier le vendeur sont les suivantes :

a) Clause résolutoire
Le seul défaut de paiement des arrérages n'autorise pas celui en faveur duquel est constituée la rente à demander le remboursement du capital ou à rentrer dans le fonds vendu par lui (art. 1978 Code civil).
Il n'a que le droit de saisir ou de faire vendre les biens de son débiteur ou de faire ordonner, sur le produit de la vente, l'emploi d'une somme suffI-sante pour le service des arrérages.
Toutefois, cette règle n'est pas d'ordre public : il est donc possible d'y déroger par convention en stipulant qu'à défaut de paiement des arrérages pendant un certain délai. la résolution de la vente aura lieu automatiquement ou sur demande en justice. Il s'agit là de la clause dite résolutoire.
Lorsque cette clause a été insérée dans le contrat de vente, le vendeur peut, en cas de non-paiement des arrérages, faire délivrer un commandement de payer par un huissier au moyen de la copie exécutoire qui lui a été remise par le notaire. Si, à l'expiration du délai imparti (en général un mois), le débiteur ne s' est pas acquitté de sa dette, le défaut de paiement des arrérages exigibles fera l'objet d'un proces verbal de carence : il s'agit d'un document dressé en la forme authentique qui devra contenir l'identité complète des parties et la dèsignation de l'immeuble, et qui sera publié au bureau des hypothéques en vue de constater la résolution de la vente.
il est également possible aux parties de déroger à l'obligation de mise en demeure et de convenir que la résolution sera acquise automatiquement par le seul fait de la survenance d'un terme impayé. La dispense de sommation doit être expressément stipulée, l'inobservation du terme ne pouvant. en l'absence de sommation et de procès-verbal de carence, entraîner la résolution de la vente (Cass, - 29 novembre 1965),

L'intérèt essentiel de cette clause est de prévoir la résiliation automatique du contrat et la résolution de la vente dans les conditions précisées, sans que le juge ait à les prononcer.
Que se passe-t-il alors si la résolution de la vente intervient?
Le vendeur recouvre la propriété de son immeuble dont l'acquéreur se trouve dépossédé,
Les arrèrages payés peuvent être déclarés acquis au creditrentier à titre de réparation (Cass civ 3°-8 juillet 1980). La clause résolutoire insérée dans l'acte de vente peut d'ailleurs prévoir qu'en cas de résolution, les arrérages payés resteront acquis au creditrentier . Mais il s'agit alors
d'une clause pénale dont les juges peuvent réduire les effets en application des articles 1152 et 1231 du Code Civil si elle apparaît disproportionnée par rapport au préjudice subi (Cass civ 1ère 3 Fevrier 1983)

b) Privilège de vendeur
Tout vendeur d'immeuble a, en principe, un privilège sur l'immeuble vendu pour le paiement du prix (art. 2103 alinéa 1 Code civil). Ce privilège permet au créancier en cas de vente de l'immeuble par l'acquéreur de primer les autres créanciers de l'acquéreur.
Sur le prix de vente sera d'abord prélevée la somme qui permettra d'assurer le paiement des arrérages. Le solde, s'il en existe, sera attribué aux autres créanciers ayant inscrit une hypothéque sur l'immeuble en fonction de la date d'inscription de ces hypothèques.
En effet, le privilège de vendeur prend rang à la date de la vente (art. 2108 Code civil). Une condition toutefois: il faut que ce privilège soit inscrit dans les deux mois de l'acte,


c) Exécution forcée
Le crédirentier, qui n'a pas pris la précaution de faire inscrire son privilège, a le droit de saisir et de faire vendre les biens du débirentier, afin d'obtenir sur le prix de la vente l'emploi d'une somme suffisante pour le paiement des arrérages (art 1978 du Code Civil ) .Dans cette hypothese ,le vendeur passera bien sur apres les créanciers qui pourraient beneficier d'une hypotheque sur l'immeuble.
Le creditrentier peut egalement operer une saisie execution sur les biens vendus volontairement par le debitrentier et ce non seulement pour le paiement des arrerages echus mais aussi pour versements à venir de la rente (Cass civ 18 Avril 1939)
Le Code Civil n'ayant pas défini la <> pour le versement des arrérages ,les auteurs estiment que cette somme doit etre calculée en prenant sur l'actif du débiteur un capital dont le placement en rente viagère produira des arrérages egaux à ceux de la rente revenant au créditrentier , le calcul en étant effectué au moyen des tables d'équivalence des compagnies d'assurance ,qui sont établies en fonction des statistiques de durée de vie moyenne .

d) Droit du crédirentier en cas de diminution des sûretés
Si le debirentier a promis des suretes et ne les fournit pas, le credirentier peut demander la resolution de la vente et par suite la restitution du prix de la rente , c'est à dire de l'immeuble (art 1977 Code Civil )
La vente partielle de l'immeuble hypothéqué constitue une diminution des sûretés au sens de ce texte. Toutefois, si la dépréciation de l'immeuble est indépendante du fait du débirentier, la résolution de la vente ne pourra pas être demandée.
- La résolution prévue ne se produira pas de plein droit s'il n'y a pas insertion de la clause résolutoire dans l'acte de vente, mais doit être prononcée par le tribunal,
Tant que le jugement n'a pas acquis autorité de chose jugée, le débirentier pourra empêcher la résolution en fournissant les sûretés promises ou en reconstituant les sûretés diminuées.

3°) Actions en cas de non-paiement des arrérages
Le crédirentier peut choisir entre trois solutions :
= essayer d'obtenir simplement le paiement des arrérages dus en poursuivant le débirentier (commandement de payer) ou en mettant en jeu les cautions éventuelles,
= demander la résolution de la vente afin de récupérer l'immeuble,
= faire vendre l'immeuble pour obtenir le versement d'une somme qui permettra d'assurer le paiement d'une somme équivalente aux arrérages impayés et futurs.


4°) Action en résolution de la vente

1 )- Le contrat comporte une clause résolutoire
Si le commandement de payer délivré au débirentier reste sans effet pendant un mois le tribunal ne peut que constater la résolution de la vente (Cass. civ. l re-9 février 1983).

2 )- Le contrat ne comporte pas de clause résolutoire
Le tribunal saisi aura la faculté d'apprécier, compte tenu des éléments de la cause, si la réso-lution de la vente doit être prononcée. Elle est donc, dans cette hypothèse, laissée à l'appréciation du tribunal (Rep. Min. lO - Débats Ass. Nat. - 6 sep-tembre 1961 - p. 2207).

5°) Effets de la résolution
Si la résolution de la vente est prononcée. la vente sera considérée comme n'ayant jamais existé. En conséquence, l'immeuble réintégrera le patrimoine du vendeur ou de sa succession, mais l'acquéreur pourra obtenir la restitution des sommes qu'il a versées.
Toutefois il est généralement stipulé dans l'acte de vente que les arrérages versés par le débitrentier restent acquis au vendeur creditrentier à titre de dommages-interêts .



- SURVENANCE D'UNE PROCÉDURE COLLECTIVE
1°) Sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967

Alors qu'existait encore la masse, on avait pu considérer qu'un tel contrat ayant eu pour effet de transmettre immédiatement et défrnitivement la propriété à l'acquéreur, la créance d'arrérages consti-tuait une créance dans la masse, que le crédirentier devait produire à la " faillite" du débirentier, en sorte qu'il fallait évaluer le capital représentatif des arrérages non payés en vue de cette produc-tion. Cependant la jurisprudence n'a pas suivi ce raisonnement. Elle a décidé, par application de l' article 38 alinéa l de cette loi, que le syndic devait. pour conserver la propriété de l'immeuble dans le patrimoine du débiteur, payer tous les arrérages dus au vendeur, tant avant qu'après le jugement déclaratif, comme dettes de masse (Aix-en-Provence 15 avril 1977 - Cass. corn. 29 janvier 1975).

2°) Sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985
2-1) Pour les uns,
- la solution jurisprudentielle dégagée ci-dessus est parfaitement transposable malgré la dis-parition de la notion de masse;
- le contrat de rente viagère doit être considéré non pas comme un contrat à éxécution instantanée (à l'instar d'un contrat de prêt), mais comme un contrat sui generis s'agissant d'un contrat d'aliénationd'un capital ;
- les arrérages à échoir seront payés pendant la période d'observation.

2-2) Pour d'autres,
- si la loi dispose que les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture sont payées à leur échéance lorsque l'activité de l'entreprise est poursuivie (art. L.40) , ce privilège ne peut s'appliquer aux arrérages échus postérieurement au jugement puisqu'ils sont nés au jour de la remise du bien aliéné et de la constitution du contrat de rente viagère;
- en effet. le contrat de rente viagère doit alors être considéré comme un contrat à exécution instantanée et traité comme tel, c'est-à-dire qu'il convient de déclarer au jour du jugement d'ou-verture le capital représentatif des arrérages échus et à échoir non payés; sauf à encourir la forclusion en cas de non-déclaration.
Dès lors la position du crédirentier va, en grande partie, dépendre de l'existence de suretés à son profit (privilège du vendeur, hypothèque, notamment )

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Par un arret du 28 Fevrier 1995 , la chambre commerciale de la Cour de Cassation a tranché en faveur de la these exprimée en 2-2)
Le cheminement procédural a été le suivant :
A) Lors de l'ouverture de la procédure collective du débirentier un seul arrérage était dû au crédi-rentier.

Le crédirentier a :
- procédé à une déclaration de créance pour la mensualité échue ce qui fut accepté sans contestation au titre de l'article 1.50,
- réclamé les arrérages échus postérieurement à l'ouverture de la procédure collective par des commandements de payer visant l'application de la clause résolutoire .

Le liquidateur a :
- payé avec beaucoup de retard (4 mois) les causes de ces commandements,
- obtenu ensuite par ordonnance du juge-commissaire, l'autorisation de vendre l'immeuble selon les formes de la saisie immobilière .
Le crédirentier a saisi le tribunal d'un incident,. en soutenant que, par suite du défaut de paiement dans les délais des arrérages de la rente, la clause résolutoire s'était trouvée acquise et que l'immeuble était rentré dans son patrimoine

B) Une cour. appelée à statuer en appel. a rejeté la demande du crédirentier en distraction de sai-sie et a déclaré sa créance au titre des arrérages à échoir éteinte pour n'avoir pas été mentionnée dans sa déclaration de créances.

C) La Cour de cassation a rejeté le pourvoi aux motifs suivants:

a) Il résulte de la combinaison des articles 47. ali-néa 1er, et 37. alinéa 1er, de la loi du 2S janvier 1985 qu'un créancier dont la créance a son origine antérieurement au jugement d'ouverture, ne peut exercer d'action en résolution ou tendant à faire constater l'acquisition d'une clause résolutoire pour défaut de paiement d'une somme d'argent que s'il s'agit de sommes échues après le jugement d'ouverture du redressemenl judiciaire du débiteur et qui sont dues en vertu d'un contrat en cours au sens de l'article 37 de la loi précitée

En conséquence, la créance au titre des arrérages d'une rente échus postérieurement au jugement d'ouverture du redressement judiciaire du débirentier ayant son origine dans un contrat de vente conclu antérieurement et celui-ci n'étant plus en cours au sens du texte précité, dès lors que le transfert de la propriété de l'immeuble vendu s'était, en l'espèce, réalisé dès la signature de l'acte de vente. la résolution du contrat de vente pour non-paiement d'arrérages à échoir doit ètre écartée. peu important le paiement de certains arrérages par le liqidateur
Attendu, en second lieu, que la cour d'appel, après avoir relevé, sans la dénaturer, que la déclaration de créance du creditrentier, qui se bornait à demander paiement de la mensualité du 3 février 1987, sans indiquer, conformément aux dispositions de l'article 51, alinéa 1er, de la loi du 25 janvier 1985, les sommes à échoir et la date de leurs échéances, n'exprimait pas, de façon non équivoque, sa volonté de réclamer les arrérages à échoir de la rente, en a déduit exactement que la créance à ce titre était éteinte .

On peut retenir de cet arrêt de la Cour de Cassation que :
-le contrat de rente viagère n'est pas un contrat en cours au sens de l'article L.37 ; c'est donc un contrat à exécution instantanée: sa nature juridique n'est pas changée même si des arrè-rages ont été payès postérieurement au juge-ment d'ouverture;
- l'alternative " résolution ou paiement des arrérages à échoir" est une alternative fausse dans
ses deux branches selon les dispositions de l'article L.4 7 ;
-les exigences de l'article L.5l doivent recevoir de la part du crédirentier une application non équivoque.
S'il ne s'agit pas. d'un arrêt de principe, du moins en a-t-il toutes les caractéristiques pédagogiques .

Jean LAMICHE
President du Tribunal de Commerce de SOISSONS




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